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23/10/2011

Vanité au cadran solaire.

Vanite-au-Cadran-Solaire-320.jpgVanité au cadran solaire, 1630, huile sur toile, 0,66x0,85m. Sébastien Stoskopff. Musée du Louvre.

La vanité est un genre de nature morte très à la mode au XVIIIe siècle, période baroque dans toute l'Europe. Elle prend ses sources dans l'Ancien Testament avec l'Ecclésiaste (Ecclésiaste 1,2) : "Vanitas vanitatum et omnia vanitas". "Vanité des vanités, tout est vanité (...) Une génération s'en va, une génération arrive, et la terre subsiste toujours."

Quelle est cette étrange "nature morte", dans laquelle un sentiment de néant, d'angoisse, de silence mortel, envahit la toile ? Et comment expérimentons nous ces sensations à la vision de ce tableau ? Serait-ce le crâne posé là comme si de rien n'était parmi des livres entassés, crâne qui à l'origine est censé être celui d'Adam, le premier homme. Ce même crâne qu'on retrouve aux pieds du Christ, sur le Mont Golgotha, dans les scènes de crucifixion des peintures de la Renaissance. Il est présent pour faire remarquer que le Christ a souffert pour le rachat des hommes, depuis la fuite du Paradis causée par le pêché originel. Le crâne des vanités nous remémore, suite à ce lointain épisode, que nous sommes tous mortels et tous pêcheurs. Ce crâne est là pour rappeler au spectateur du XVIIIe siècle que, suivant les croyances de l'époque, il s'agit de ne pas céder au vice afin de découvrir le vrai sens de la vie : il est préférable d'emprunter le chemin de la sagesse (la connaissance) plutôt que celui des illusions (le plaisir des sens) car le temps est compté, et l'homme doit gagner son paradis.

En ce qui concerne le vieux cadran solaire à gauche, il semble être devenu inutile dans cette toile figée, dans une atmosphère ténébreuse. Quant à cette dernière, telle une estrade de théâtre, ne nous invite-t-elle pas à venir jouer un rôle dans cette scène ? A faire vivre un instant cette oeuvre inerte que l'on appelle Vanité ? La vie est une pièce de théâtre dont nous sommes les acteurs, dont l'acmé est la prise de conscience de ce que nous sommes et vers quoi nous allons, le dernier acte la connaissance et, la fin ultime, la mort. Cette toile du peintre français Stoskopff présente justement une analogie frappante avec le théâtre de l'époque dit "baroque" qu'il soit shakespearien (britannique) ou calderonien (espagnol). Il conserve néanmoins les éléments essentiels qui composent la vanité : le temps, la mort, la musique, les sens...

Tous les éléments qui composent la vanité sont là pour nous rappeler que la vie est éphémère : le temps, la mort, la musique, les sens. Sens, que l'on retrouve ici d'une certaine façon par la présence des livres : sensuels par le toucher des pages, l'odeur qu'ils prennent au fil des jours, la lecture qui recquiert la vue, ou l'ouïe pour un auditoire. Sensations qui nous trompent sur le moment car elles sont immatérielles, tout comme le temps qui passe (on retrouve les traditionnels cadran solaire et crâne sur la gauche du tableau). Celui qui troque le plaisir des sens contre la sagesse (savoir incarné ici par les livres) comme Hamlet ou Sigismond dans La vie est un songe (héros dramatique de la dite oeuvre de  Calderon de la Barca), laquelle mène à la connaissance, sera finalement sauvé puisque, par Dieu, il gagnera le Paradis.

On retrouve cette représentation du temps qui passe et de la mort dans la gravure de Laurent de la Hyre (1526) reproduite au premier plan. Il s'agit du centaure Marsyas, qui, pour avoir mieux joué qu'Apollon de la fûte fut écorché vif sur l'ordre de ce dernier. Cet épisode de la mythologie relaté par Ovide dans Les Métamorphoses n'a pas été choisi par hasard lorsque l'on sait que cette oeuvre se présente sous la forme d'un calendrier, reflet même du temps qui s'écoule mais revient toujours....

m051202_0005896_1.jpgApollon et Marsyas, Estampe, 1526. Laurent de la Hyre. Musée des Beaux Arts de Nancy.

Il est exactement question du principe calderonien du "théâtre dans le théâtre", dit "autoréférenciation" : il s'agit d'une représentation dans la représentation. La composition même de l'oeuvre est une mise en scène : il y a cette impression d'espace clos où la lumière ne pénètre pas, comme si nous étions face à une boîte. A cela s'ajoute que lorsque nous contemplons le tableau, c'est notre condition humaine que nous voyons.

Mais attention ! Le rideau rouge sur le côté droit, derrière lequel on a découvert à l'exploration radiographique que se dissimulait une Vierge à l'Enfant, va bientôt se refermer sur ce mauvais rêve qu'est la mort. Après tout, "la vie n'est peut-être qu'un songe"... 

Mathilde Gautier.

Mars 2001.

08:51 Écrit par Mathilde Gautier dans Sémiotique et analyse d'images | Commentaires (2) | Tags : vanité, theatre |  Facebook | |  Imprimer | |

16/10/2011

Le paysage fantôme, Magritte, 1928.

"La forme ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse est la pensée... Je suis intéressé par l'éthique, non par l'esthétique". Magritte

Magritte n'avait gère le goût du fantastique et du monde des rêves. Son but était plutôt, en créant la surprise de la découverte d'une image singulière, de conduire le spectateur à s'interroger sur ses propres habitudes visuelles. Les images de Magritte témoignent, entre autres, qu'il n'y a pas de relation évidente entre ce qu'est l'objet et le nom qu'on lui donne, et qui ne représente jamais ce qu'est "réellement" l'objet. Magritte joue avec les mots et abuse de ce qu'appelle le linguiste Jakobson "la fonction poétique" (c'est-à-dire l'adéquation entre le texte et l'image).

L'oeuvre de Magritte entretient dont un rapport très important avec la sémiotique, c'est-à-dire "la science de la production de sens (dont fait partie le langage)". Le paysage fantôme (1928) illustre parfaitement cette approche. Cette oeuvre issue de la série des 17 "tableaux alphabets" témoigne d'une logique astucieuse insoupçonnable à première vue.

MagritteDans ce tableau, l'image a une valeur plastique, sémiotique et symbolique. Il s'agit d'une femme des plus banales mais sur laquelle est inscrit le mot "montagne". Deux explications s'imposent : l'une est de type psychologique, l'autre sémiotique.

1/ Magritte, un peu comme Freud quand il analyse les rêves, note cette remarque d'évidence aveuglante que sur un support donné, mots et images sont de la même substance : ils sont peints tous les deux. En réalité, le mot "montagne" est ici peint sur le visage de la femme et, à cet égard, n'est pas exactement peint. La relation texte/image est regarder de près : "montagne" n'est pas peint directement sur le visage mais sur un support plat comme le visage. En effet, on peut noter que le mot "montagne" n'est pas déformé comme il l'aurait été s'il avait été peint sur un visage "matérialisé" par la peinture.

2/ Magritte joue avec "l'arbitraire du signe" (ce qui fonde la capacité à parler) : le mot "femme" est une convention. On sait à quoi se réfère ce mot mais Magritte appelle la femme, "montagne". Il sabote de la sorte les nécessités langagières et réinvente l'arbitraire du signe.

M.G.

Novembre 2000.