Cendrillon à Paris. (16/12/2011)

Décembre 2011. Paris. Cendrillon est à l'honneur dans la capitale. Le conte de Charles Perault est revisité par deux spectacles exceptionnels : l'un mise en scène au Théâtre de l'Odéon par Joël Pommerat, l'autre chorégraphié par le défunt Rudolph Noureev à l'Opéra Bastille (livret de Sergueï Prokofiev).

L'un est du théâtre, l'autre un ballet. L'un s'attache au chemin initiatique de l'enfant vers l'âge adulte, l'autre décrit la magie d'une époque où le cinéma hollywoodien créait la magie. Dans les deux cas, le spectacle vaut le détour. 

Si vous ne les avez pas vus, rassurez-vous, Cendrillon de Joël Pommerat sera en tournée en 2012 en France et en Belgique. Et Cendrillon de Noureev est un classique que l'Opéra de Paris saura remettre au goût du jour... 

Cendrillon de Noureev/Sergueï Prokofiev.

Le ballet de Noureev est connu depuis sa création pour l'Opéra Bastille en 1986. Léger, drôle et fait de paillettes, il revisite les codes de la danse classique avec des mouvements très cassés, de la couleur et l'apparition de danseurs transexuels. Traité sur le mode de la comédie musicale, il présente une Cendrillon qui rêve d'être une star de cinéma au bras de son prince. Quant au prince, il cherche chaussure à son pied, au sens littéral du terme, puisqu'il fait la tournée des cabarets : après avoir séduit celle qu'il pense être Cendrillon, il lui fait essayer sa chaussure sans qu'elle puisse entrer dedans et la rejette par conséquent, en quête d'une nouvelle Cendrillon qui aura la pointure parfaite.

Le conte a cela de cruel qu'il laisse croire aux petites filles qu'en embrassant un crapaud, il deviendra prince. En réalité, il faut croire que les princes n'existent pas (sauf au cinéma) mais que les crapauds, eux, existent bel et bien ! 

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Cendrillon de Joël Pommerat.

Joël Pommerat nous offre un nouveau spectacle tout à fait réussi dans lequel on retrouve tous ses subterfuges, jeux de lumière et noirceur qui provoquent cette ambiance froide et raffinée qui lui est propre. Les spectacles de Joël Pommerat sont toujours à la limite du pire de ce dont est capable l'Humanité. Toujours drôles, toujours cyniques, ses spectacles s'attachent d'habitude à peindre un tableau redoutable du monde du travail et aux souffrances absurdes des individus incapables de vivre respectueusement entre eux. 

Ici, il nous offre un spectacle sur le parcours initatique d'une jeune fille qui a perdu sa mère trop jeune et qui croit qu'il faut toujours penser à elle pour continuer à la faire vivre. Plutôt que de vivre sa propre vie, elle se réfugie dans une pensée obsédante dont elle pense qu'elle la sauvera de son chagrin, d'un deuil qui n'a pas été fait, d'un père maladroit qui ne sait pas l'aimer et de la peur de grandir. Débordée par son imagination, elle s'invente un monde pour échapper à une réalité trop violente. Elle grandit pourtant dans une famille recomposée, avec une belle-mère totalement autocentrée, tyrannique pour ne pas dire histrionique, et des soeurs bêtes et insipides. Tous ces personnages sont d'une vérité déconcertante. Joël Pommerat réussi là encore à décrire des comportements humains avec cette franchise décalée qui caractérise si bien son travail.

Sandra, dénommée tout d'abord Cendrier par ses méchantes soeurs à cause de l'odeur des cigarettes que son père fume toute la journée, deviendra accidentellement Cendrillon pour son prince. Ce prince qui n'a jamais autrement vécu que reclu par peur d'affronter le monde et la vérité de la mort de sa mère. Ces deux jeunes adolescents se retrouvent soudainement face à face, face à un désir déconcertant de jeunes enfants qui découvrent un désir d'adulte dans le regard de l'autre. Ce désir passe aussi par un deuil commun, le deuil de leur mère et le deuil de leur enfance. L'un et l'autre, ensemble, parviendront à accepter leur vérité : celle de la mort, de l'acceptation de la perte et de la découverte de l'autre. Un beau spectacle vers la lumière. 

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® Cici Olsson

Mathilde Gautier

20:49 Écrit par Mathilde Gautier | Commentaires (0) | Tags : cendrillon, théâtre, opéra, joël pommerat, rudolph noureev, sergueï prokofiev, mathilde gautier |  Facebook | |  Imprimer | |